Le paradis des silences
Pourquoi ?
Pourquoi s'obstiner à assembler, année après année, ces suites de mots qui, peu importe leur auteur, ne pourront jamais briser les chaînes de leurs servitudes.
Pourquoi déverser en flots discontinus, ces lettres perdues et infliger, à ces feuilles de papiers, des nuits bleues d'encre répandue ?
Est-ce pour remettre de l'ordre dans ce désert de lumières ou se convaincre malgré tout que l'on est toujours de ce monde du matériel que d'affirmer, en ces mots, une emprunte tangible formée de multiples cicatrices qui, elles, sont palpables ? Car quoi de pire que de ne pouvoir toucher, palper, enfoncer ces propres doigts dans ses cicatrices pour se rassurer de leur présence ou de leur absence ? Est-ce qu’il y a pire déroute que de ressentir ses fractures tout en ne pouvant point les arborer comme autant de blessures de guerre ? Du miséreux ou du seigneur, est-il une condition plus enviable devant ces abîmes sensorielles que nul ne peut apprécier autrement qu’en s’élançant au-delà de la limite de leurs flancs, c’est-à-dire déjà plongeant en leur cœur meurtrier ?
Oui : l’encre est palpable.
Oui : les mots sont autant de pierres d’un édifice difforme qui s’évertue à esquisser l’ombre de mon être. Les cris, les soupirs, les larmes se perdront dans l’infinité des gouffres de ce monde. Nos baisers, les battements de nos cœurs et nos souffles haletants ne survivront que quelques instants dans nos mémoires et nos corps.
Mais qu’en est-il de nos écrits ? Que reste-t-il des sillons d’encres gravés dans ces papiers de soies qui défiaient la plus ultime de nos douleurs et la plus jouissive de nos joies ? Où se meurent donc ces notes de piano qui jadis enjouaient nos âmes dans une étreinte symphonique ? Jusqu’où s’enfoncent nos colères, nos peurs, nos espérances cachées que même notre plume n’a pu régurgiter au creux de la nuit la plus sereine ?
Le paradis des silences.
Le paradis des silences est ce lieu où s’accumulent les flots de nos passions écorchées, de nos espérances perdues et de nos amours délaissées. Le paradis des silences regorge de nos défaites humiliantes, de nos muettes attentes et de nos victoires cachées.
Ici se côtoient nos faiblesses et nos forces, celles que nous aurions voulu être et celles que nous avons été malgré l’ingéniosité de notre conscience.
Ce paradis est ma prison.
Ce paradis est mon purgatoire.
Debout au milieu de ces miroirs brisés me refoulant un reflet fissuré des cicatrices que mes mains ne pouvaient effleurer, je vacille de bris en débris pour me perdre dans un dédalle de reflet de celles que je ne voulais pas être.
Et pourtant, il se produisait une chose étrange : chaque fois que je posais le regard sur l’un de ces reflets, celui-ci disparaissait lentement pour ne plus laisser qu’un bout de miroir opaque d’où aucune image ne rayonnait… Miroir après miroir, mes pas s’alourdissaient, mes membres se raidissaient comme pour freiner ma progression parmi ces reflets évanouis.
Au dernier miroir, le reflet vacilla, frissonnant sans doute d’être examiné par sa maîtresse. Et pourtant, le reflet tint bon et continua de m’irradier de ses contours. Je m’approchai et posai mes mains sur sa peau de verre poli. A chaque courbe : je sentais une déchirure, à chaque cambrure : une brûlure, au bout de l’index droit : la marque de la plume, sous le menton : une cicatrice… Je ne pouvais me détacher de mon reflet et celui-ci semblait ne pas pouvoir se détacher de moi.
Un léger sourire fissura son visage, il me dévisageait autant que je le contemplai.
Enfin, au bout de ce premier périple, j’étais arrivée au creux de moi.
Enfin, je sentais pourquoi, plus que je ne le comprenais.
Enfoncer mes doigts dans ces cicatrices était sans doute plus salvateur que ces tonnes de papiers jaunis ou ses litres d’encre effacée. Mais y serais-je arrivée sans elle ?
Pourquoi s'obstiner à assembler, année après année, ces suites de mots qui, peu importe leur auteur, ne pourront jamais briser les chaînes de leurs servitudes.
Pourquoi déverser en flots discontinus, ces lettres perdues et infliger, à ces feuilles de papiers, des nuits bleues d'encre répandue ?
Est-ce pour remettre de l'ordre dans ce désert de lumières ou se convaincre malgré tout que l'on est toujours de ce monde du matériel que d'affirmer, en ces mots, une emprunte tangible formée de multiples cicatrices qui, elles, sont palpables ? Car quoi de pire que de ne pouvoir toucher, palper, enfoncer ces propres doigts dans ses cicatrices pour se rassurer de leur présence ou de leur absence ? Est-ce qu’il y a pire déroute que de ressentir ses fractures tout en ne pouvant point les arborer comme autant de blessures de guerre ? Du miséreux ou du seigneur, est-il une condition plus enviable devant ces abîmes sensorielles que nul ne peut apprécier autrement qu’en s’élançant au-delà de la limite de leurs flancs, c’est-à-dire déjà plongeant en leur cœur meurtrier ?
Oui : l’encre est palpable.
Oui : les mots sont autant de pierres d’un édifice difforme qui s’évertue à esquisser l’ombre de mon être. Les cris, les soupirs, les larmes se perdront dans l’infinité des gouffres de ce monde. Nos baisers, les battements de nos cœurs et nos souffles haletants ne survivront que quelques instants dans nos mémoires et nos corps.
Mais qu’en est-il de nos écrits ? Que reste-t-il des sillons d’encres gravés dans ces papiers de soies qui défiaient la plus ultime de nos douleurs et la plus jouissive de nos joies ? Où se meurent donc ces notes de piano qui jadis enjouaient nos âmes dans une étreinte symphonique ? Jusqu’où s’enfoncent nos colères, nos peurs, nos espérances cachées que même notre plume n’a pu régurgiter au creux de la nuit la plus sereine ?
Le paradis des silences.
Le paradis des silences est ce lieu où s’accumulent les flots de nos passions écorchées, de nos espérances perdues et de nos amours délaissées. Le paradis des silences regorge de nos défaites humiliantes, de nos muettes attentes et de nos victoires cachées.
Ici se côtoient nos faiblesses et nos forces, celles que nous aurions voulu être et celles que nous avons été malgré l’ingéniosité de notre conscience.
Ce paradis est ma prison.
Ce paradis est mon purgatoire.
Debout au milieu de ces miroirs brisés me refoulant un reflet fissuré des cicatrices que mes mains ne pouvaient effleurer, je vacille de bris en débris pour me perdre dans un dédalle de reflet de celles que je ne voulais pas être.
Et pourtant, il se produisait une chose étrange : chaque fois que je posais le regard sur l’un de ces reflets, celui-ci disparaissait lentement pour ne plus laisser qu’un bout de miroir opaque d’où aucune image ne rayonnait… Miroir après miroir, mes pas s’alourdissaient, mes membres se raidissaient comme pour freiner ma progression parmi ces reflets évanouis.
Au dernier miroir, le reflet vacilla, frissonnant sans doute d’être examiné par sa maîtresse. Et pourtant, le reflet tint bon et continua de m’irradier de ses contours. Je m’approchai et posai mes mains sur sa peau de verre poli. A chaque courbe : je sentais une déchirure, à chaque cambrure : une brûlure, au bout de l’index droit : la marque de la plume, sous le menton : une cicatrice… Je ne pouvais me détacher de mon reflet et celui-ci semblait ne pas pouvoir se détacher de moi.
Un léger sourire fissura son visage, il me dévisageait autant que je le contemplai.
Enfin, au bout de ce premier périple, j’étais arrivée au creux de moi.
Enfin, je sentais pourquoi, plus que je ne le comprenais.
Enfoncer mes doigts dans ces cicatrices était sans doute plus salvateur que ces tonnes de papiers jaunis ou ses litres d’encre effacée. Mais y serais-je arrivée sans elle ?
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