lundi, août 14, 2006

Indécences

Une pluie inhabituellement fine tombait ce matin. Une bruine légère tourbillonnait et se pressait, par alternance, sur la fenêtre de ma chambre. A l'extérieur, les premières feuilles mortes de l'automne fuyaient le vent en tournoyant autour des érables de l'allée.

Sortant d'une nuit nébuleusement éthylique et ouvrant les yeux sur ma table de nuit, je distinguai, dans un flou narcoleptique, ma robe de nuit négligemment jetée sur la lampe de chevet.
Nous avions sûrement dû nous donner l’un à l’autre cette nuit. La lourde pluie du crépuscule, la moiteur de l’appartement et cette irrépressible envie de sentir nos deux corps frémir d’une même passion jusqu’à l’extase coordonnée de deux êtres en parfaite harmonie : voilà ce qui avait dû provoquer un destin peu glorieux pour ce morceau de tissu qui gisait maintenant à côté de moi.
Tout cela n’était donc qu’un mauvais rêve, le reflet d’une peur subconsciente réveillée par une overdose cathodique et poussée à son paroxysme par un esprit à l’imagination bien trop acérée.

Déjà les premières lueurs du matin éclairaient la pièce. La pluie s’éloignait lentement pour faire place à une matinée sans aucun doute ensoleillée. Le soleil brillait toujours au matin d’une nuit d’amour.
Etirant tous les muscles de mon corps, je me blottissai dans les draps tout m’approchant de sa chair. Se réveillant dans mes bras, il me serrera et m’embrassera longuement. Ses yeux bleus s’ouvriront et un large sourire m’invitera à me lover contre lui. Nous somnolerons alors ainsi pour prolonger de quelques minutes encore l’intimité de notre nuit.

M’enroulant de son côté, là où je pensais rencontrer son corps endormi, je ne trouvai qu’un oreiller froid et sans odeur. Mon bras nu s’aventura sans succès jusqu’aux frontières de notre couche tandis que mes yeux, éblouis par les premières lueurs du jour, tentaient en vain de distinguer une ombre familière.
En une fraction de seconde, son absence provoqua un torrent assourdissant d’images effroyables qui envahirent mon esprit. Je ressentai la funeste froideur de son corps et me fondai dans la morne pâleur de son visage dont les muscles avaient déjà commencé à se dissoudre. Je sombrai dans ses yeux révulsés d’une mort dont la violence n’avait pour seul témoin que la crispation extrême de tous ses membres.

L’air me manquait ; je suffoquai ; je perdis un à un tous mes repères. Déboussolée, je tombai sur le sol. Tentant de me relever et prenant appui sur la table de chevet, je ne parvins qu’à briser la lampe dont les débris m’entaillèrent la cheville. J’atteignis enfin la fenêtre et puisant dans mes dernières forces pour vaincre la rouille accumulée depuis plusieurs mois, les gonds cédèrent et la fenêtre se brisa contre le mur extérieur de la chambre.

La pluie n’avait jamais cessé de tomber ; les nuages ne s’étaient pas emportés. Poussée par le vent, la pluie me fouette maintenant le visage pour y composer les larmes que je ne peux plus pleurer.

Une goutte s’aventure jusqu'à mes lèvres.
C’est étrange: c’est salé.