vendredi, octobre 27, 2006

Nuit bleue

Le son de ma voix résonnait encore dans ce vide surréaliste : tel un appel inconscient à quitter ma route, à poursuivre ma destinée hors de ce sentier tracé par d'autres et qui ne m'apporterait que la complaisance des certitudes illusoires.

C'est ainsi que mes pas me portèrent jusqu’à cette plaine déserte où le vent jouait dans les blés jamais moissonnés et où la pluie effaçait chaque jour un peu plus les vestiges d’une civilisation jadis prospère. Ici et là, on pouvait distinguer les ruines d’une colonne écroulée, un vitrail brisé, une coupe rouillée par le temps, un drap déchiré par Sa colère.

Je marchai à travers les débris d’une vie accidentée. Attendri par cette désolation familière, mon pied butta contre l’arête d’un vieux livre qui faillit me faire tomber. Je me penche, le ramasse et, de la paume de la main, époussette le cuir pour tenter d’y lire les restes d’une feuille d’or depuis longtemps effacée. Le retournant délicatement, je l’ouvre et découvre les cendres d’une écriture à peine lisible tant la main de l’écrivain devait trembler devant son œuvre.

Ne pouvant déchiffrer un seul mot, je déposai respectueusement l’ouvrage, cuir contre terre. Le vent descendant des montagnes s’amplifia alors et s’aventura au gré des pages de l’auteur inconnu. Au fur et à mesure que les pages tournaient, les mots tracés à l’encre, telles des cendres séchées, s’envolèrent peu à peu. Bientôt ce ne fut plus qu’un amas de pages vierges qui se bousculaient aux caprices du vent.

Je m’agenouillai alors au milieu de mon inconscient et souffris d’une plaine où soufflait la désolation et la nostalgie. Une cathédrale s’élevait ici jadis. Entre quatre rangées de colonnes de marbre blanc, un pavement d’ophites conduisait le visiteur jusqu’au maître-autel, au-delà d’un transept s’élevant jusqu’aux pieds du ciel. Gravé à la feuille d’or, le Verbe passionné, s’y déversait en flots salvateurs et déclamait sa verve dans le cœur de ceux qui, un jour, furent foudroyés par sa force.

Et pourtant, bâtisseur de ce lieu saint entre tous les lieux saints, voilà qu’Il me fallut le détruire. Voilà qu’Il me fallut démonter, pierre après pierre ce que toute une vie n’eut pas suffit à découvrir. Mais comment pouvais-je étouffer cette voix qui ne cessait de hurler au fond de moi ? Comment pouvais-je atteindre et déraciner ce lierre qui, petit à petit, s’était lié à mon âme et l’étreignait encore avec une telle violence ? Comment brûler et consumer ces Ecritures qui prophétisaient l’accomplissement et la richesse de l’âme lorsque, lié à un seul cœur, celle-ci s’enivrait d’un bonheur à peine espéré et d’un Amour foudroyé.

C’est uniquement par folie, par cette folie destructrice qui me poussait à croire que tout pouvait recommencer, que ce qui avait été détruit pouvait être reconstruit, ailleurs, autrement, avec la même Foi mais sous d’autres lois. Et c’est animé de cette fièvre enivrante que j’arrachai ce corps devenu étranger à mon âme et que je mis le point final à ce rêve qui me fit découvrir des terres inconnues et des trésors insoupçonnés.

La dernière colonne renversée, le dernier livre brûlé, je m’agenouillais au milieu de ce dernier champ de bataille. Une chaleur étrange parcourait mes veines et, le souffle redevenu régulier, j’ouvris les yeux pour la première fois cette nuit-là. Je découvrais mes mains couvertes d'un fluide bleuté, ce fluide vital d’une plume qui jamais plus ne pourra déverser ni passion ni colère. Ce même fluide avait tracé sur ma peau les cicatrices de ce combat à mort et couvrait le ciel d'une toile opaque que nul rayon céleste ne pouvait percer.

C'était une nuit de deuil et de renaissance.
C'est une nuit de doutes et d'espérances.
Cette nuit était bleue.

dimanche, octobre 15, 2006

Nuit blanche

Ne pouvant briser ce miroir de mes mains, je décidai de le fuir.

Au-delà de cette frontière, à quelques pas de moi, les êtres que je connus jadis dansaient, s’enivraient d’un bonheur éphémère et se perdaient, l’un après l’autre, au seuil de leur déraison. Le temps de leur délivrance n’était pas encore venu et les chaînes qui contraignaient leur âme à séjourner dans leur enveloppe charnelle n’étaient pas encore prêtes à se rompre.

Peu à peu j’oubliais leur visage, le timbre de leur voix et l’intensité de leur regard. Bientôt, ils n’étaient plus que des ombres anonymes enlacées et dansant au rythme effréné d’un silence soutenu. Ils disparurent alors dans le brouillard de ma mémoire délaissant au creux de mon cœur des bribes de rires et l’empreinte d’un ancien fleuve de larmes asséché.

J’avais fui. Lâchement. J’avais cessé de frapper la paroi de ce miroir et ma voix s’était tue dans le fond de ma gorge. Accroupie, la tête entre les genoux et les bras enlacés, j’avais cessé de pleurer. Quelques traces de sels, derniers vestiges d’un combat entre le corps et l’âme, séjourneraient encore sur mon visage pour que je puisse à jamais me souvenir de ceux que j’ai abandonnés.

Je tournai le dos à mon reflet pour qu’il me quitte. J’avançais vers sa lumière pour qu’il recule et étire jusqu’à la rupture, le cordon vital qui nous liait l’un à l’autre. Pas après pas, oubli après oubli, je me sentais tirée en arrière par une force qui ne voulait pas m’abandonner. Les poings serrés, les muscles déployés, je tentais de m’éloigner sans cesse de ce trou noir qui me retenait à mon ombre. Le miroir m’aspirait, me forçait à reculer pour rejoindre celle que je fuyais. Son emprise était trop profondément encrée en moi et je ne pouvais m’oublier à ce point. Déjà, il me voyait abandonner ma fuite.

Je fermai alors les yeux et m’engouffrai dans le tréfonds de mon âme pour y puiser la force de fuir. Je fouillai dans mon inconscient pour ne trouver qu’un désert de silences. Plus un mot, plus une image, plus un souvenir : un bibliothèque de pages blanches et de partitions rectilignes. Tout, j’avais tout abandonné et rien ne pouvait plus me sauver de l’emprise que mon ombre garderait sur moi. Enchaînée à ce miroir : voilà donc quelle devait être ma destinée.

Soudain, au creux de mon désert, je perçus un murmure porté par le vent. Je ne pouvais distinguer le sens de ces mots qui provenaient d’un abysse inexploré. Pourtant, je ne rêvais pas : le son s’amplifiait et m’envahissait. Mon âme, mon cœur et mon esprit ne résonnèrent bientôt plus que de ce mot qui d’un murmure se transfigurait bientôt en un cri, en un hurlement, en un rugissement que je ne pouvais plus contenir. Du bout des lèvres, le visage marqué par la douleur de l’enfantement de ce mot, je ne pus le comprendre avant de le crier : ELMERICK.

Ce mot, je l’avais banni, exilé et refoulé depuis sa mort. Et pourtant, c’est de ce mot que jailli la lumière et ma délivrance. De son nom expiré, le miroir se fissura et le cordon se brisa. Je tombai face contre terre, libérée d’une ombre prisonnière d’un miroir fêlé.

C’était une nuit de renaissance : ce fut une nuit blanche.

dimanche, octobre 01, 2006

Vérités


Envie de dire, besoin de vivre.

J’ai dans la tête une douleur extrême qui me brise les sens et rejette mon âme vers son inconscient à la recherche d’une vérité que j’ai toujours fuie.

Je vis dans un monde parallèle : un univers clandestin dans lequel on ne naît ni par choix, ni par destin. Ce n’était ni une alternative, ni un dilemme : c’est une évidence, c’est une présence.
J’ai croisé le regard du bourreau. Il s’est fait juge et s’est affirmé au cœur de mon âme pour m’exiler sans retour de l’autre côté du miroir.

Je ne sais où, je ne sais quand, j’ai quitté le monde commun pour renaître dans un monde proscrit, un royaume soumis à la régence de l’irraison. Ce monde est abject et je souffre de ne pouvoir vivre dans mon ancienne vérité, là où je parvenais à exister au travers de mes illusions et à survivre de chimères en faux-semblants.
Je suis maintenant bannie d’un monde où je pouvais me persuader que je n’avais plus besoin de Lui et où je réussissais à croire en la futilité des stigmates qui cicatrisent mon cœur.

Condamnée : je suis condamnée à abandonner mes convictions, à suivre mon instinct et à vivre entièrement et constamment son absence. J’ai choisi l’oubli, mais c’est au prix d’un lourd tribut : la vérité : cette insupportable lumière qui aveugle mes pensées et refoule mes raisons.

Pour qui, pour quoi ?
Pour lui, pour moi.

Seule ? Evidemment pas. Mais ces gens qui vivent et meurent autour de moi, je ne les vois qu’à travers un miroir sans tain. Je pourrais hurler cette vérité qui me brûle l’esprit, je pourrais projeter ce nouveau reflet au plus près de leurs pupilles : jamais le moindre son ou la moindre lumière ne traversera ce double miroir qu’ils s’évertuent à façonner tout au long de leur existence.

Je n’ai pu briser mon miroir ; je suis pourtant passée de l’autre côté.
Et toi ? De quel côté es-tu ?