vendredi, septembre 29, 2006

Le jardin des miroirs

De ce paradis, il ne me reste plus qu’un goût de souffre et de sel : un goût âcre et nauséeux engendré par les effluves de nos lettres brûlées et de nos photos écorchées.
Année après année, ces effluves n’eurent pour résultat que le décharnement cérébral conduisant inéluctablement à l’amnésie progressive de ces bonheurs iniques.

Et pourtant, durant cette vague spirituellement iconoclaste, je n’ai pu éliminer les dernières bribes de ces souvenirs. C’est donc dans l’espoir naïf de voir un jour disparaître ce dernier rempart à l’oubli, que je vous livre les restes d’un bonheur passé.

C’est un coin de verdure, un jardin comme il en existe tant d’autres dans ce royaume.
Et pourtant, celui-ci reflète l’âme dans les yeux de ceux qui regardent sans détour. Ici, l’image se reflète à l’infini sur des plans d’eau inclinés, sur les milles et une fontaines improvisées et jusque dans la pupille des âmes innocentes. Ici, le bonheur est roi, il est fécond et donne des ailes aux enfants de Mercure.

Marchant à ses côtés, c’est dans ce jardin que j’ai compris ; c’est en cet endroit que mon regard a croisé le sien pour la première fois. Et pourtant, il avait déjà pris ma main. Et pourtant, il avait déjà conquis mon cœur. Et pourtant, il m’avait déjà passé l’anneau.

Etrange lieu que celui qui brise les dimensions de l’espace-temps pour me présenter au cours d’un seul et unique acte, au creux de ce théâtre naturel, les drames de mon passé et les fausses espérances de mon avenir.

Marchant aujourd’hui au bord du passage qui me mènera à l’oubli, l’espoir me fait frémir et mon âtre me parait plus chaleureux. N’osant faire un pas de plus dans l’une ou l’autre direction, je me penche sur mon âme et la laisse libre de choisir son chemin…

Rien ne bouge. Le temps s'est arrêté un instant comme si lui aussi s'inquiétait de la suite des événements.
Mon corps est immobile. Et pourtant, mon âme a déjà fait son choix…

Il fait de plus en plus froid… et c’est bien ainsi.

jeudi, septembre 14, 2006

Cette nuit, je me souviendrai

Du parfum de l’âtre et des crépitements de ton cœur, je ressens cette frénésie qui enveloppe l’âme rationnelle que tu as façonnée. Je perçois maintenant cette dernière montée d’adrénaline qui inonde les muscles et le cerveau de mon être gisant sur le marbre glacé de l’affrontement qui marquera, à jamais, l’Amitié que nous nous étions promise.

Année après année, pierre après pierre, la cathédrale que nous construisions n’était qu’un tombeau où un seul d’entre nous trouverait refuge. Les armes que tu avais choisies n’étaient pas les siennes et la mort que tu espérais s’en est allée loin de toi. Malgré les efforts déployés pour la retenir, tu sais maintenant pourquoi ce n’est pas toi qu’elle poursuivait. M’en voudras-tu de l’avoir détournée de toi ? Me pardonneras-tu un jour d’avoir été ce lâche qui partit le premier ?

J’ai longtemps espéré plonger mon cœur dans le cercueil d’albâtre qu’elle m’avait offert lors du premier de nos adieux. De silences en discours, de peines en éclats de rire tu m’empêchais de rassembler mes souffles de vie semés aux quatre vents et qu’il me fallait pourtant rassembler pour enfermer à jamais.

Cette nuit, j’ai voulu t’écrire pour que tu te souviennes. J’ai voulu combattre l’inhospitalière blancheur du papier et la douce noirceur de la nuit pour que tu puisses, à jamais, te remémorer les combats que tu as perdus. Des anges que nous avons fuis et des démons que nous avons enlacés il ne reste que ces pâles missives que nous conservions précieusement comme autant de faux oublis ou d’hypocrites commémorations.

J’ai tant désiré que tu rendes vie à cette plume et que, du sillon que tu eus gravé avec passion, sorte, par milliers, les frustrations et les peurs d’un passé que nous avions enterrés. Tu compris néanmoins que ce n’est pas le poignet qui dirige la plume, mais bien le papier sur lequel il repose. Alors, à quoi bon briser le silence d’une œuvre inachevée ?

Cette nuit, cette plume n’a coulé que pour toi. Elle s’est avancée au devant de mon cœur pour embrasser l’astre et la mutiler de son encre indélébile. Mes souffles de vie rassemblés, c’est d’une âme assoiffée d’un amour égaré que je te souffle ces mots afin qu’ils te guident dans la quête que je n’ai pu achever.

Un jour, la nuit est morte ;
ce jour, je l’ai réveillée.
Cette nuit, la flamme a brillé ;
cette nuit, je m’en suis souvenu.

Cette nuit, je me souviendrai.