mercredi, août 30, 2006

Solitudes

A moi toutes les Solitudes !

Enlevez-moi l’insoutenable grisaille de mon existence. Balayées entre amitiés vaines et pitiés outrageantes, venez m’abreuver de vos souffles apaisants et faites-moi oublier que j’ai jadis aimé.

Dérobez, pièce par pièce et jusqu’aux limites de ma mémoire, les souvenirs de mon passé.
Eparpillez aux quatre terres ces morceaux de verres qui m’entaillent l’âme et revenez emplir l’espace vide que vous y aurez laissé.
Dispersez-y sels et oublis afin que plus aucun souvenir n’y pose l’ancre et déroutez les cardinales qui, jadis, guidaient les voyageurs en cette terre maintenant stérile.

A vos côtés, je perdrai le gris de ma terre pour gagner la nuit de votre royaume.
Arrivée à vos portes, je me retournerai vers cette couleur indécise qui m’est insupportable et je souffrirai pour la dernière fois son éblouissement afin de ne jamais oublier l’espoir qu’il procurait.
A bout de mon essoufflement, vous me donnerez enfin la force de pénétrer dans votre empire…

Là-bas, je l’apercevrai.
Là-bas, je le retrouverai.
Là-bas, je le haïrai.

lundi, août 14, 2006

Indécences

Une pluie inhabituellement fine tombait ce matin. Une bruine légère tourbillonnait et se pressait, par alternance, sur la fenêtre de ma chambre. A l'extérieur, les premières feuilles mortes de l'automne fuyaient le vent en tournoyant autour des érables de l'allée.

Sortant d'une nuit nébuleusement éthylique et ouvrant les yeux sur ma table de nuit, je distinguai, dans un flou narcoleptique, ma robe de nuit négligemment jetée sur la lampe de chevet.
Nous avions sûrement dû nous donner l’un à l’autre cette nuit. La lourde pluie du crépuscule, la moiteur de l’appartement et cette irrépressible envie de sentir nos deux corps frémir d’une même passion jusqu’à l’extase coordonnée de deux êtres en parfaite harmonie : voilà ce qui avait dû provoquer un destin peu glorieux pour ce morceau de tissu qui gisait maintenant à côté de moi.
Tout cela n’était donc qu’un mauvais rêve, le reflet d’une peur subconsciente réveillée par une overdose cathodique et poussée à son paroxysme par un esprit à l’imagination bien trop acérée.

Déjà les premières lueurs du matin éclairaient la pièce. La pluie s’éloignait lentement pour faire place à une matinée sans aucun doute ensoleillée. Le soleil brillait toujours au matin d’une nuit d’amour.
Etirant tous les muscles de mon corps, je me blottissai dans les draps tout m’approchant de sa chair. Se réveillant dans mes bras, il me serrera et m’embrassera longuement. Ses yeux bleus s’ouvriront et un large sourire m’invitera à me lover contre lui. Nous somnolerons alors ainsi pour prolonger de quelques minutes encore l’intimité de notre nuit.

M’enroulant de son côté, là où je pensais rencontrer son corps endormi, je ne trouvai qu’un oreiller froid et sans odeur. Mon bras nu s’aventura sans succès jusqu’aux frontières de notre couche tandis que mes yeux, éblouis par les premières lueurs du jour, tentaient en vain de distinguer une ombre familière.
En une fraction de seconde, son absence provoqua un torrent assourdissant d’images effroyables qui envahirent mon esprit. Je ressentai la funeste froideur de son corps et me fondai dans la morne pâleur de son visage dont les muscles avaient déjà commencé à se dissoudre. Je sombrai dans ses yeux révulsés d’une mort dont la violence n’avait pour seul témoin que la crispation extrême de tous ses membres.

L’air me manquait ; je suffoquai ; je perdis un à un tous mes repères. Déboussolée, je tombai sur le sol. Tentant de me relever et prenant appui sur la table de chevet, je ne parvins qu’à briser la lampe dont les débris m’entaillèrent la cheville. J’atteignis enfin la fenêtre et puisant dans mes dernières forces pour vaincre la rouille accumulée depuis plusieurs mois, les gonds cédèrent et la fenêtre se brisa contre le mur extérieur de la chambre.

La pluie n’avait jamais cessé de tomber ; les nuages ne s’étaient pas emportés. Poussée par le vent, la pluie me fouette maintenant le visage pour y composer les larmes que je ne peux plus pleurer.

Une goutte s’aventure jusqu'à mes lèvres.
C’est étrange: c’est salé.

vendredi, août 04, 2006

Lucidité éphémère

Il pleut. C’est magnifique.
Les dernières gouttes d’un orage mourant s’écrasent contre la fenêtre. Les nuages épuisés font maintenant place à un crépuscule naissant.

Mon corps, atrophié par une trop longue absence, se languit dans un fauteuil vieilli par un bonheur passé.
Dans mes bras, ma robe de mariée grisée par la poussière et l’oubli vient de me murmurer son dernier soupir. J’étais seule ; je suis perdue.

L’écran d’ordinateur procure la seule et unique lumière de la chambre. Je ne sais pourquoi, je ne sais comment : au fond, cela n’a pas vraiment d’importance.
Mes doigts se jouent des touches du clavier dans un cliquetis ingénieusement étouffé. Mes songes s’éternisent sur support virtuel à la vue de tous. Et pourtant, ironie de mon agonie, la seule personne à qui je les destine ne peut plus les deviner.

Une folie contenue s’épanche progressivement au creux de mon âme : le poison s’insinue douloureusement. Je le sens peu à peu prendre le contrôle du flot de mes pensées si rationnel jadis.

Jadis. Jadis, la pluie était laide, la grisaille était maudite. Jadis, le soleil ne me brûlait pas les yeux, les rires ne me brisaient pas encore le cœur, le bonheur était de ce monde.


Jadis, nous étions.

Genèse - Divine

Depuis les doigts des fées qui m’ont donné naissance, j’ai fait ce long voyage. Croisant tantôt des Nymphes aux lyres dorées, tantôt des sibylles aux destins brisés, j’ai parcouru des mois et des années pour enfin paraître dans cet étrange lieu où nous nous sommes mutuellement esquissés.

Dès l’instant où tu te montras affable et intéressée, je te prévins de l’éphémérité de notre vie commune. Notre histoire … ton histoire, bien qu’elle puisse être étincelante, voire envieuse, ne sera jamais qu’un voyage d’une aube au crépuscule. Enfin, lorsque ton dernier souffle t’emportera, alors, tu comprendras que notre rencontre fut la seule, l’unique, celle que tu auras attendu toute ta vie, celle dont tu te languiras depuis le jour où nous nous sommes étreints.

Tu voulais que notre idylle soit cachée et protégée de lui, de tous. Tu voulais que ce jour soit parfait et que la synergie de notre union resplendisse sur les colonnes et les pavés de notre sainte maison. Mais tu savais déjà que leurs regards nous souilleraient. Tu pressentais que le malheur s’abattrait dès que leur lumière nous ombragerait.

Tu l’aimais trop. Tu l’aimais trop pour lui refuser ce sacrifice anonyme. Lorsque le jour fut venu, qu’avais-tu retenu de notre rencontre ? Pourquoi n’arrivais-tu pas à te souvenir de ta propre mort ? Et maintenant que tu y es confrontée, pourquoi diriges-tu tes funestes pensées vers moi ? Qui suis-je donc pour être l’élue de ces dernières secondes ?

Je crus tout d’abord que c’était le hasard qui nous avait rapproché … et puis tu m’as étreinte et alors j’ai su. J’ai su que je te retrouvais enfin, pour te perdre à l’aboutissement de cette étrange union. A l’aube de notre unique rencontre, je profitai de la paix qui m’entourait pour me parer des atours qu’ils désiraient et attendre la délivrance dont toi seule avait la clé.

Enfin vint le jour où tu m’apportas la lumière. Mais, toi non plus, tu ne pouvais savoir que ce jour allait retentir au fond de toi comme aucun autre ne l’avait fait auparavant. Nous ne formions plus qu’une. Toi et moi. Et le sang qui parcourait tes veines réchauffait mon cœur asséché par les larmes de mes deuils antérieurs. Sa cadence devint bientôt un torrent brûlant qui allait, pour un jour et une nuit, nous emporter jusqu’à ce lit de mort où tu gis ce soir.

Il y eut tout d’abord les fleurs : des roses … blanches, bien sûr. Une pour chacun d’entre eux. Ensuite, vint cet autre, celui pour qui tu allais m’abandonner le soir même. Le preux avait revêtu son armure. Fier et sûr de lui … mais beau aussi. Tu l’aimais et je ne pouvais plus faire semblant de l’ignorer.

Son regard me transperça pour la seule et unique fois, ce jour-là. Et déjà, je sus qu’il n’avait que faire de ma présence. Pourtant, je compris que, lui non plus, ne saurait jamais que le sang qui coule pour lui, en toi, était également le mien. A peine avait-il deviné que j’étais déjà morte dans tes bras.

Il nous attendait … et nous nous avançâmes vers lui. Il était subjugué par notre beauté. Il ne pouvait s’empêcher d'être jaloux, même s’il était trop confiant pour imaginer te perdre à cet instant. Et pourtant, c’est à ce moment que tu eus cet ultime doute ; celui qui te fit regarder en arrière … mais déjà tu ne me voyais plus. Rien n’aurait pu enrayer cette course folle où je t’avais, malgré moi, entraînée.

Note après note, la course folle atteignit son apogée funeste lorsqu’il nous tendit la main, tel un bourreau à sa prochaine victime. N’écoutant que ton corps non assez meurtri de mes turpitudes, tu acceptas l’invitation qui t’était faite sans ignorer que ce geste allait sceller, à jamais, l’anéantissement des serments que nous avions formulés.

Je n’en pouvais plus de leurs regards et leurs murmures m’avilissaient. Je te suppliais d’abréger mes souffrances par un abandon ultime et irréversible. Mais enivré par son corps et ses mots, tu n’entendais plus mes suppliques et, déjà, tu avais oublié ma présence à tes côtés.

Malgré cette mort qui venait de m’être annoncée par ton silence, je ressentis ton cœur battre de plus belle. A l’aube du déferlement de ce torrent glacé qui allait m’emporter, je ressentis une émotion inconnue s’emparer de nos êtres. Ton corps frissonnant contre le mien, ces quelques perles s’évaporant de ton diadème, ce léger tremblement dans le son de ta voix et ce souffle haletant présageaient l’arrivée de mon funeste départ.

Après avoir reçu l’anneau doré qui allait rester, après sa mort et bien après la mienne, sa seule présence auprès de toi, tu m’invitas à la rencontre de ma propre fin. Tu étais heureuse, et il avait réussi à t’enchaîner à son âme. Même après sa mort, ses chaînes t’attireront dans un tourbillon qui ne cessera jamais de t’engloutir.

Tu étais la reine de notre Royaume et sitôt les chaînes imposées, je m’effaçais à leurs yeux pour ne plus qu’être “l’autre”. Commença alors cette agonie infiniment longue et douloureuse. Et même si leur indifférence me glaçait le sang, ce n’était rien à côté de ton oubli.

Nous nous étions promis de nous aimer jusqu’à sa fin et, pour te protéger, tu as préféré faire comme eux. Nous étions unies et nous nous aimions ; il a fallu cette douce et voluptueuse nuit pour enfin te revoir anéantie par le temps et l’absence. Cette peau douce et délicate a souffert les assauts du temps et le chant qui parvint maintenant à mes oreilles n’est plus cette délicieuse mélodie de jeunesse mais un râle de souffrance imprégnée d’agonie.

Ce soir où l’âge n’est plus une frontière et où la mort même n’est plus un passage, tu as voulu me revêtir une dernière fois pour comprendre l’Amour qui nous unissait jadis.





Penchée contre ton cœur
Je sens le froid t’emporter à jamais.

Tu pleures
Et je maudis ceux qui t’ont prise.




La robe de mariée.