vendredi, mai 18, 2007

Le paradis des silences

Pourquoi ?
Pourquoi s'obstiner à assembler, année après année, ces suites de mots qui, peu importe leur auteur, ne pourront jamais briser les chaînes de leurs servitudes.
Pourquoi déverser en flots discontinus, ces lettres perdues et infliger, à ces feuilles de papiers, des nuits bleues d'encre répandue ?

Est-ce pour remettre de l'ordre dans ce désert de lumières ou se convaincre malgré tout que l'on est toujours de ce monde du matériel que d'affirmer, en ces mots, une emprunte tangible formée de multiples cicatrices qui, elles, sont palpables ? Car quoi de pire que de ne pouvoir toucher, palper, enfoncer ces propres doigts dans ses cicatrices pour se rassurer de leur présence ou de leur absence ? Est-ce qu’il y a pire déroute que de ressentir ses fractures tout en ne pouvant point les arborer comme autant de blessures de guerre ? Du miséreux ou du seigneur, est-il une condition plus enviable devant ces abîmes sensorielles que nul ne peut apprécier autrement qu’en s’élançant au-delà de la limite de leurs flancs, c’est-à-dire déjà plongeant en leur cœur meurtrier ?

Oui : l’encre est palpable.
Oui : les mots sont autant de pierres d’un édifice difforme qui s’évertue à esquisser l’ombre de mon être. Les cris, les soupirs, les larmes se perdront dans l’infinité des gouffres de ce monde. Nos baisers, les battements de nos cœurs et nos souffles haletants ne survivront que quelques instants dans nos mémoires et nos corps.
Mais qu’en est-il de nos écrits ? Que reste-t-il des sillons d’encres gravés dans ces papiers de soies qui défiaient la plus ultime de nos douleurs et la plus jouissive de nos joies ? Où se meurent donc ces notes de piano qui jadis enjouaient nos âmes dans une étreinte symphonique ? Jusqu’où s’enfoncent nos colères, nos peurs, nos espérances cachées que même notre plume n’a pu régurgiter au creux de la nuit la plus sereine ?

Le paradis des silences.
Le paradis des silences est ce lieu où s’accumulent les flots de nos passions écorchées, de nos espérances perdues et de nos amours délaissées. Le paradis des silences regorge de nos défaites humiliantes, de nos muettes attentes et de nos victoires cachées.
Ici se côtoient nos faiblesses et nos forces, celles que nous aurions voulu être et celles que nous avons été malgré l’ingéniosité de notre conscience.

Ce paradis est ma prison.
Ce paradis est mon purgatoire.
Debout au milieu de ces miroirs brisés me refoulant un reflet fissuré des cicatrices que mes mains ne pouvaient effleurer, je vacille de bris en débris pour me perdre dans un dédalle de reflet de celles que je ne voulais pas être.
Et pourtant, il se produisait une chose étrange : chaque fois que je posais le regard sur l’un de ces reflets, celui-ci disparaissait lentement pour ne plus laisser qu’un bout de miroir opaque d’où aucune image ne rayonnait… Miroir après miroir, mes pas s’alourdissaient, mes membres se raidissaient comme pour freiner ma progression parmi ces reflets évanouis.
Au dernier miroir, le reflet vacilla, frissonnant sans doute d’être examiné par sa maîtresse. Et pourtant, le reflet tint bon et continua de m’irradier de ses contours. Je m’approchai et posai mes mains sur sa peau de verre poli. A chaque courbe : je sentais une déchirure, à chaque cambrure : une brûlure, au bout de l’index droit : la marque de la plume, sous le menton : une cicatrice… Je ne pouvais me détacher de mon reflet et celui-ci semblait ne pas pouvoir se détacher de moi.
Un léger sourire fissura son visage, il me dévisageait autant que je le contemplai.

Enfin, au bout de ce premier périple, j’étais arrivée au creux de moi.
Enfin, je sentais pourquoi, plus que je ne le comprenais.
Enfoncer mes doigts dans ces cicatrices était sans doute plus salvateur que ces tonnes de papiers jaunis ou ses litres d’encre effacée. Mais y serais-je arrivée sans elle ?

vendredi, octobre 27, 2006

Nuit bleue

Le son de ma voix résonnait encore dans ce vide surréaliste : tel un appel inconscient à quitter ma route, à poursuivre ma destinée hors de ce sentier tracé par d'autres et qui ne m'apporterait que la complaisance des certitudes illusoires.

C'est ainsi que mes pas me portèrent jusqu’à cette plaine déserte où le vent jouait dans les blés jamais moissonnés et où la pluie effaçait chaque jour un peu plus les vestiges d’une civilisation jadis prospère. Ici et là, on pouvait distinguer les ruines d’une colonne écroulée, un vitrail brisé, une coupe rouillée par le temps, un drap déchiré par Sa colère.

Je marchai à travers les débris d’une vie accidentée. Attendri par cette désolation familière, mon pied butta contre l’arête d’un vieux livre qui faillit me faire tomber. Je me penche, le ramasse et, de la paume de la main, époussette le cuir pour tenter d’y lire les restes d’une feuille d’or depuis longtemps effacée. Le retournant délicatement, je l’ouvre et découvre les cendres d’une écriture à peine lisible tant la main de l’écrivain devait trembler devant son œuvre.

Ne pouvant déchiffrer un seul mot, je déposai respectueusement l’ouvrage, cuir contre terre. Le vent descendant des montagnes s’amplifia alors et s’aventura au gré des pages de l’auteur inconnu. Au fur et à mesure que les pages tournaient, les mots tracés à l’encre, telles des cendres séchées, s’envolèrent peu à peu. Bientôt ce ne fut plus qu’un amas de pages vierges qui se bousculaient aux caprices du vent.

Je m’agenouillai alors au milieu de mon inconscient et souffris d’une plaine où soufflait la désolation et la nostalgie. Une cathédrale s’élevait ici jadis. Entre quatre rangées de colonnes de marbre blanc, un pavement d’ophites conduisait le visiteur jusqu’au maître-autel, au-delà d’un transept s’élevant jusqu’aux pieds du ciel. Gravé à la feuille d’or, le Verbe passionné, s’y déversait en flots salvateurs et déclamait sa verve dans le cœur de ceux qui, un jour, furent foudroyés par sa force.

Et pourtant, bâtisseur de ce lieu saint entre tous les lieux saints, voilà qu’Il me fallut le détruire. Voilà qu’Il me fallut démonter, pierre après pierre ce que toute une vie n’eut pas suffit à découvrir. Mais comment pouvais-je étouffer cette voix qui ne cessait de hurler au fond de moi ? Comment pouvais-je atteindre et déraciner ce lierre qui, petit à petit, s’était lié à mon âme et l’étreignait encore avec une telle violence ? Comment brûler et consumer ces Ecritures qui prophétisaient l’accomplissement et la richesse de l’âme lorsque, lié à un seul cœur, celle-ci s’enivrait d’un bonheur à peine espéré et d’un Amour foudroyé.

C’est uniquement par folie, par cette folie destructrice qui me poussait à croire que tout pouvait recommencer, que ce qui avait été détruit pouvait être reconstruit, ailleurs, autrement, avec la même Foi mais sous d’autres lois. Et c’est animé de cette fièvre enivrante que j’arrachai ce corps devenu étranger à mon âme et que je mis le point final à ce rêve qui me fit découvrir des terres inconnues et des trésors insoupçonnés.

La dernière colonne renversée, le dernier livre brûlé, je m’agenouillais au milieu de ce dernier champ de bataille. Une chaleur étrange parcourait mes veines et, le souffle redevenu régulier, j’ouvris les yeux pour la première fois cette nuit-là. Je découvrais mes mains couvertes d'un fluide bleuté, ce fluide vital d’une plume qui jamais plus ne pourra déverser ni passion ni colère. Ce même fluide avait tracé sur ma peau les cicatrices de ce combat à mort et couvrait le ciel d'une toile opaque que nul rayon céleste ne pouvait percer.

C'était une nuit de deuil et de renaissance.
C'est une nuit de doutes et d'espérances.
Cette nuit était bleue.

dimanche, octobre 15, 2006

Nuit blanche

Ne pouvant briser ce miroir de mes mains, je décidai de le fuir.

Au-delà de cette frontière, à quelques pas de moi, les êtres que je connus jadis dansaient, s’enivraient d’un bonheur éphémère et se perdaient, l’un après l’autre, au seuil de leur déraison. Le temps de leur délivrance n’était pas encore venu et les chaînes qui contraignaient leur âme à séjourner dans leur enveloppe charnelle n’étaient pas encore prêtes à se rompre.

Peu à peu j’oubliais leur visage, le timbre de leur voix et l’intensité de leur regard. Bientôt, ils n’étaient plus que des ombres anonymes enlacées et dansant au rythme effréné d’un silence soutenu. Ils disparurent alors dans le brouillard de ma mémoire délaissant au creux de mon cœur des bribes de rires et l’empreinte d’un ancien fleuve de larmes asséché.

J’avais fui. Lâchement. J’avais cessé de frapper la paroi de ce miroir et ma voix s’était tue dans le fond de ma gorge. Accroupie, la tête entre les genoux et les bras enlacés, j’avais cessé de pleurer. Quelques traces de sels, derniers vestiges d’un combat entre le corps et l’âme, séjourneraient encore sur mon visage pour que je puisse à jamais me souvenir de ceux que j’ai abandonnés.

Je tournai le dos à mon reflet pour qu’il me quitte. J’avançais vers sa lumière pour qu’il recule et étire jusqu’à la rupture, le cordon vital qui nous liait l’un à l’autre. Pas après pas, oubli après oubli, je me sentais tirée en arrière par une force qui ne voulait pas m’abandonner. Les poings serrés, les muscles déployés, je tentais de m’éloigner sans cesse de ce trou noir qui me retenait à mon ombre. Le miroir m’aspirait, me forçait à reculer pour rejoindre celle que je fuyais. Son emprise était trop profondément encrée en moi et je ne pouvais m’oublier à ce point. Déjà, il me voyait abandonner ma fuite.

Je fermai alors les yeux et m’engouffrai dans le tréfonds de mon âme pour y puiser la force de fuir. Je fouillai dans mon inconscient pour ne trouver qu’un désert de silences. Plus un mot, plus une image, plus un souvenir : un bibliothèque de pages blanches et de partitions rectilignes. Tout, j’avais tout abandonné et rien ne pouvait plus me sauver de l’emprise que mon ombre garderait sur moi. Enchaînée à ce miroir : voilà donc quelle devait être ma destinée.

Soudain, au creux de mon désert, je perçus un murmure porté par le vent. Je ne pouvais distinguer le sens de ces mots qui provenaient d’un abysse inexploré. Pourtant, je ne rêvais pas : le son s’amplifiait et m’envahissait. Mon âme, mon cœur et mon esprit ne résonnèrent bientôt plus que de ce mot qui d’un murmure se transfigurait bientôt en un cri, en un hurlement, en un rugissement que je ne pouvais plus contenir. Du bout des lèvres, le visage marqué par la douleur de l’enfantement de ce mot, je ne pus le comprendre avant de le crier : ELMERICK.

Ce mot, je l’avais banni, exilé et refoulé depuis sa mort. Et pourtant, c’est de ce mot que jailli la lumière et ma délivrance. De son nom expiré, le miroir se fissura et le cordon se brisa. Je tombai face contre terre, libérée d’une ombre prisonnière d’un miroir fêlé.

C’était une nuit de renaissance : ce fut une nuit blanche.

dimanche, octobre 01, 2006

Vérités


Envie de dire, besoin de vivre.

J’ai dans la tête une douleur extrême qui me brise les sens et rejette mon âme vers son inconscient à la recherche d’une vérité que j’ai toujours fuie.

Je vis dans un monde parallèle : un univers clandestin dans lequel on ne naît ni par choix, ni par destin. Ce n’était ni une alternative, ni un dilemme : c’est une évidence, c’est une présence.
J’ai croisé le regard du bourreau. Il s’est fait juge et s’est affirmé au cœur de mon âme pour m’exiler sans retour de l’autre côté du miroir.

Je ne sais où, je ne sais quand, j’ai quitté le monde commun pour renaître dans un monde proscrit, un royaume soumis à la régence de l’irraison. Ce monde est abject et je souffre de ne pouvoir vivre dans mon ancienne vérité, là où je parvenais à exister au travers de mes illusions et à survivre de chimères en faux-semblants.
Je suis maintenant bannie d’un monde où je pouvais me persuader que je n’avais plus besoin de Lui et où je réussissais à croire en la futilité des stigmates qui cicatrisent mon cœur.

Condamnée : je suis condamnée à abandonner mes convictions, à suivre mon instinct et à vivre entièrement et constamment son absence. J’ai choisi l’oubli, mais c’est au prix d’un lourd tribut : la vérité : cette insupportable lumière qui aveugle mes pensées et refoule mes raisons.

Pour qui, pour quoi ?
Pour lui, pour moi.

Seule ? Evidemment pas. Mais ces gens qui vivent et meurent autour de moi, je ne les vois qu’à travers un miroir sans tain. Je pourrais hurler cette vérité qui me brûle l’esprit, je pourrais projeter ce nouveau reflet au plus près de leurs pupilles : jamais le moindre son ou la moindre lumière ne traversera ce double miroir qu’ils s’évertuent à façonner tout au long de leur existence.

Je n’ai pu briser mon miroir ; je suis pourtant passée de l’autre côté.
Et toi ? De quel côté es-tu ?

vendredi, septembre 29, 2006

Le jardin des miroirs

De ce paradis, il ne me reste plus qu’un goût de souffre et de sel : un goût âcre et nauséeux engendré par les effluves de nos lettres brûlées et de nos photos écorchées.
Année après année, ces effluves n’eurent pour résultat que le décharnement cérébral conduisant inéluctablement à l’amnésie progressive de ces bonheurs iniques.

Et pourtant, durant cette vague spirituellement iconoclaste, je n’ai pu éliminer les dernières bribes de ces souvenirs. C’est donc dans l’espoir naïf de voir un jour disparaître ce dernier rempart à l’oubli, que je vous livre les restes d’un bonheur passé.

C’est un coin de verdure, un jardin comme il en existe tant d’autres dans ce royaume.
Et pourtant, celui-ci reflète l’âme dans les yeux de ceux qui regardent sans détour. Ici, l’image se reflète à l’infini sur des plans d’eau inclinés, sur les milles et une fontaines improvisées et jusque dans la pupille des âmes innocentes. Ici, le bonheur est roi, il est fécond et donne des ailes aux enfants de Mercure.

Marchant à ses côtés, c’est dans ce jardin que j’ai compris ; c’est en cet endroit que mon regard a croisé le sien pour la première fois. Et pourtant, il avait déjà pris ma main. Et pourtant, il avait déjà conquis mon cœur. Et pourtant, il m’avait déjà passé l’anneau.

Etrange lieu que celui qui brise les dimensions de l’espace-temps pour me présenter au cours d’un seul et unique acte, au creux de ce théâtre naturel, les drames de mon passé et les fausses espérances de mon avenir.

Marchant aujourd’hui au bord du passage qui me mènera à l’oubli, l’espoir me fait frémir et mon âtre me parait plus chaleureux. N’osant faire un pas de plus dans l’une ou l’autre direction, je me penche sur mon âme et la laisse libre de choisir son chemin…

Rien ne bouge. Le temps s'est arrêté un instant comme si lui aussi s'inquiétait de la suite des événements.
Mon corps est immobile. Et pourtant, mon âme a déjà fait son choix…

Il fait de plus en plus froid… et c’est bien ainsi.

jeudi, septembre 14, 2006

Cette nuit, je me souviendrai

Du parfum de l’âtre et des crépitements de ton cœur, je ressens cette frénésie qui enveloppe l’âme rationnelle que tu as façonnée. Je perçois maintenant cette dernière montée d’adrénaline qui inonde les muscles et le cerveau de mon être gisant sur le marbre glacé de l’affrontement qui marquera, à jamais, l’Amitié que nous nous étions promise.

Année après année, pierre après pierre, la cathédrale que nous construisions n’était qu’un tombeau où un seul d’entre nous trouverait refuge. Les armes que tu avais choisies n’étaient pas les siennes et la mort que tu espérais s’en est allée loin de toi. Malgré les efforts déployés pour la retenir, tu sais maintenant pourquoi ce n’est pas toi qu’elle poursuivait. M’en voudras-tu de l’avoir détournée de toi ? Me pardonneras-tu un jour d’avoir été ce lâche qui partit le premier ?

J’ai longtemps espéré plonger mon cœur dans le cercueil d’albâtre qu’elle m’avait offert lors du premier de nos adieux. De silences en discours, de peines en éclats de rire tu m’empêchais de rassembler mes souffles de vie semés aux quatre vents et qu’il me fallait pourtant rassembler pour enfermer à jamais.

Cette nuit, j’ai voulu t’écrire pour que tu te souviennes. J’ai voulu combattre l’inhospitalière blancheur du papier et la douce noirceur de la nuit pour que tu puisses, à jamais, te remémorer les combats que tu as perdus. Des anges que nous avons fuis et des démons que nous avons enlacés il ne reste que ces pâles missives que nous conservions précieusement comme autant de faux oublis ou d’hypocrites commémorations.

J’ai tant désiré que tu rendes vie à cette plume et que, du sillon que tu eus gravé avec passion, sorte, par milliers, les frustrations et les peurs d’un passé que nous avions enterrés. Tu compris néanmoins que ce n’est pas le poignet qui dirige la plume, mais bien le papier sur lequel il repose. Alors, à quoi bon briser le silence d’une œuvre inachevée ?

Cette nuit, cette plume n’a coulé que pour toi. Elle s’est avancée au devant de mon cœur pour embrasser l’astre et la mutiler de son encre indélébile. Mes souffles de vie rassemblés, c’est d’une âme assoiffée d’un amour égaré que je te souffle ces mots afin qu’ils te guident dans la quête que je n’ai pu achever.

Un jour, la nuit est morte ;
ce jour, je l’ai réveillée.
Cette nuit, la flamme a brillé ;
cette nuit, je m’en suis souvenu.

Cette nuit, je me souviendrai.

mercredi, août 30, 2006

Solitudes

A moi toutes les Solitudes !

Enlevez-moi l’insoutenable grisaille de mon existence. Balayées entre amitiés vaines et pitiés outrageantes, venez m’abreuver de vos souffles apaisants et faites-moi oublier que j’ai jadis aimé.

Dérobez, pièce par pièce et jusqu’aux limites de ma mémoire, les souvenirs de mon passé.
Eparpillez aux quatre terres ces morceaux de verres qui m’entaillent l’âme et revenez emplir l’espace vide que vous y aurez laissé.
Dispersez-y sels et oublis afin que plus aucun souvenir n’y pose l’ancre et déroutez les cardinales qui, jadis, guidaient les voyageurs en cette terre maintenant stérile.

A vos côtés, je perdrai le gris de ma terre pour gagner la nuit de votre royaume.
Arrivée à vos portes, je me retournerai vers cette couleur indécise qui m’est insupportable et je souffrirai pour la dernière fois son éblouissement afin de ne jamais oublier l’espoir qu’il procurait.
A bout de mon essoufflement, vous me donnerez enfin la force de pénétrer dans votre empire…

Là-bas, je l’apercevrai.
Là-bas, je le retrouverai.
Là-bas, je le haïrai.

lundi, août 14, 2006

Indécences

Une pluie inhabituellement fine tombait ce matin. Une bruine légère tourbillonnait et se pressait, par alternance, sur la fenêtre de ma chambre. A l'extérieur, les premières feuilles mortes de l'automne fuyaient le vent en tournoyant autour des érables de l'allée.

Sortant d'une nuit nébuleusement éthylique et ouvrant les yeux sur ma table de nuit, je distinguai, dans un flou narcoleptique, ma robe de nuit négligemment jetée sur la lampe de chevet.
Nous avions sûrement dû nous donner l’un à l’autre cette nuit. La lourde pluie du crépuscule, la moiteur de l’appartement et cette irrépressible envie de sentir nos deux corps frémir d’une même passion jusqu’à l’extase coordonnée de deux êtres en parfaite harmonie : voilà ce qui avait dû provoquer un destin peu glorieux pour ce morceau de tissu qui gisait maintenant à côté de moi.
Tout cela n’était donc qu’un mauvais rêve, le reflet d’une peur subconsciente réveillée par une overdose cathodique et poussée à son paroxysme par un esprit à l’imagination bien trop acérée.

Déjà les premières lueurs du matin éclairaient la pièce. La pluie s’éloignait lentement pour faire place à une matinée sans aucun doute ensoleillée. Le soleil brillait toujours au matin d’une nuit d’amour.
Etirant tous les muscles de mon corps, je me blottissai dans les draps tout m’approchant de sa chair. Se réveillant dans mes bras, il me serrera et m’embrassera longuement. Ses yeux bleus s’ouvriront et un large sourire m’invitera à me lover contre lui. Nous somnolerons alors ainsi pour prolonger de quelques minutes encore l’intimité de notre nuit.

M’enroulant de son côté, là où je pensais rencontrer son corps endormi, je ne trouvai qu’un oreiller froid et sans odeur. Mon bras nu s’aventura sans succès jusqu’aux frontières de notre couche tandis que mes yeux, éblouis par les premières lueurs du jour, tentaient en vain de distinguer une ombre familière.
En une fraction de seconde, son absence provoqua un torrent assourdissant d’images effroyables qui envahirent mon esprit. Je ressentai la funeste froideur de son corps et me fondai dans la morne pâleur de son visage dont les muscles avaient déjà commencé à se dissoudre. Je sombrai dans ses yeux révulsés d’une mort dont la violence n’avait pour seul témoin que la crispation extrême de tous ses membres.

L’air me manquait ; je suffoquai ; je perdis un à un tous mes repères. Déboussolée, je tombai sur le sol. Tentant de me relever et prenant appui sur la table de chevet, je ne parvins qu’à briser la lampe dont les débris m’entaillèrent la cheville. J’atteignis enfin la fenêtre et puisant dans mes dernières forces pour vaincre la rouille accumulée depuis plusieurs mois, les gonds cédèrent et la fenêtre se brisa contre le mur extérieur de la chambre.

La pluie n’avait jamais cessé de tomber ; les nuages ne s’étaient pas emportés. Poussée par le vent, la pluie me fouette maintenant le visage pour y composer les larmes que je ne peux plus pleurer.

Une goutte s’aventure jusqu'à mes lèvres.
C’est étrange: c’est salé.

vendredi, août 04, 2006

Lucidité éphémère

Il pleut. C’est magnifique.
Les dernières gouttes d’un orage mourant s’écrasent contre la fenêtre. Les nuages épuisés font maintenant place à un crépuscule naissant.

Mon corps, atrophié par une trop longue absence, se languit dans un fauteuil vieilli par un bonheur passé.
Dans mes bras, ma robe de mariée grisée par la poussière et l’oubli vient de me murmurer son dernier soupir. J’étais seule ; je suis perdue.

L’écran d’ordinateur procure la seule et unique lumière de la chambre. Je ne sais pourquoi, je ne sais comment : au fond, cela n’a pas vraiment d’importance.
Mes doigts se jouent des touches du clavier dans un cliquetis ingénieusement étouffé. Mes songes s’éternisent sur support virtuel à la vue de tous. Et pourtant, ironie de mon agonie, la seule personne à qui je les destine ne peut plus les deviner.

Une folie contenue s’épanche progressivement au creux de mon âme : le poison s’insinue douloureusement. Je le sens peu à peu prendre le contrôle du flot de mes pensées si rationnel jadis.

Jadis. Jadis, la pluie était laide, la grisaille était maudite. Jadis, le soleil ne me brûlait pas les yeux, les rires ne me brisaient pas encore le cœur, le bonheur était de ce monde.


Jadis, nous étions.

Genèse - Divine

Depuis les doigts des fées qui m’ont donné naissance, j’ai fait ce long voyage. Croisant tantôt des Nymphes aux lyres dorées, tantôt des sibylles aux destins brisés, j’ai parcouru des mois et des années pour enfin paraître dans cet étrange lieu où nous nous sommes mutuellement esquissés.

Dès l’instant où tu te montras affable et intéressée, je te prévins de l’éphémérité de notre vie commune. Notre histoire … ton histoire, bien qu’elle puisse être étincelante, voire envieuse, ne sera jamais qu’un voyage d’une aube au crépuscule. Enfin, lorsque ton dernier souffle t’emportera, alors, tu comprendras que notre rencontre fut la seule, l’unique, celle que tu auras attendu toute ta vie, celle dont tu te languiras depuis le jour où nous nous sommes étreints.

Tu voulais que notre idylle soit cachée et protégée de lui, de tous. Tu voulais que ce jour soit parfait et que la synergie de notre union resplendisse sur les colonnes et les pavés de notre sainte maison. Mais tu savais déjà que leurs regards nous souilleraient. Tu pressentais que le malheur s’abattrait dès que leur lumière nous ombragerait.

Tu l’aimais trop. Tu l’aimais trop pour lui refuser ce sacrifice anonyme. Lorsque le jour fut venu, qu’avais-tu retenu de notre rencontre ? Pourquoi n’arrivais-tu pas à te souvenir de ta propre mort ? Et maintenant que tu y es confrontée, pourquoi diriges-tu tes funestes pensées vers moi ? Qui suis-je donc pour être l’élue de ces dernières secondes ?

Je crus tout d’abord que c’était le hasard qui nous avait rapproché … et puis tu m’as étreinte et alors j’ai su. J’ai su que je te retrouvais enfin, pour te perdre à l’aboutissement de cette étrange union. A l’aube de notre unique rencontre, je profitai de la paix qui m’entourait pour me parer des atours qu’ils désiraient et attendre la délivrance dont toi seule avait la clé.

Enfin vint le jour où tu m’apportas la lumière. Mais, toi non plus, tu ne pouvais savoir que ce jour allait retentir au fond de toi comme aucun autre ne l’avait fait auparavant. Nous ne formions plus qu’une. Toi et moi. Et le sang qui parcourait tes veines réchauffait mon cœur asséché par les larmes de mes deuils antérieurs. Sa cadence devint bientôt un torrent brûlant qui allait, pour un jour et une nuit, nous emporter jusqu’à ce lit de mort où tu gis ce soir.

Il y eut tout d’abord les fleurs : des roses … blanches, bien sûr. Une pour chacun d’entre eux. Ensuite, vint cet autre, celui pour qui tu allais m’abandonner le soir même. Le preux avait revêtu son armure. Fier et sûr de lui … mais beau aussi. Tu l’aimais et je ne pouvais plus faire semblant de l’ignorer.

Son regard me transperça pour la seule et unique fois, ce jour-là. Et déjà, je sus qu’il n’avait que faire de ma présence. Pourtant, je compris que, lui non plus, ne saurait jamais que le sang qui coule pour lui, en toi, était également le mien. A peine avait-il deviné que j’étais déjà morte dans tes bras.

Il nous attendait … et nous nous avançâmes vers lui. Il était subjugué par notre beauté. Il ne pouvait s’empêcher d'être jaloux, même s’il était trop confiant pour imaginer te perdre à cet instant. Et pourtant, c’est à ce moment que tu eus cet ultime doute ; celui qui te fit regarder en arrière … mais déjà tu ne me voyais plus. Rien n’aurait pu enrayer cette course folle où je t’avais, malgré moi, entraînée.

Note après note, la course folle atteignit son apogée funeste lorsqu’il nous tendit la main, tel un bourreau à sa prochaine victime. N’écoutant que ton corps non assez meurtri de mes turpitudes, tu acceptas l’invitation qui t’était faite sans ignorer que ce geste allait sceller, à jamais, l’anéantissement des serments que nous avions formulés.

Je n’en pouvais plus de leurs regards et leurs murmures m’avilissaient. Je te suppliais d’abréger mes souffrances par un abandon ultime et irréversible. Mais enivré par son corps et ses mots, tu n’entendais plus mes suppliques et, déjà, tu avais oublié ma présence à tes côtés.

Malgré cette mort qui venait de m’être annoncée par ton silence, je ressentis ton cœur battre de plus belle. A l’aube du déferlement de ce torrent glacé qui allait m’emporter, je ressentis une émotion inconnue s’emparer de nos êtres. Ton corps frissonnant contre le mien, ces quelques perles s’évaporant de ton diadème, ce léger tremblement dans le son de ta voix et ce souffle haletant présageaient l’arrivée de mon funeste départ.

Après avoir reçu l’anneau doré qui allait rester, après sa mort et bien après la mienne, sa seule présence auprès de toi, tu m’invitas à la rencontre de ma propre fin. Tu étais heureuse, et il avait réussi à t’enchaîner à son âme. Même après sa mort, ses chaînes t’attireront dans un tourbillon qui ne cessera jamais de t’engloutir.

Tu étais la reine de notre Royaume et sitôt les chaînes imposées, je m’effaçais à leurs yeux pour ne plus qu’être “l’autre”. Commença alors cette agonie infiniment longue et douloureuse. Et même si leur indifférence me glaçait le sang, ce n’était rien à côté de ton oubli.

Nous nous étions promis de nous aimer jusqu’à sa fin et, pour te protéger, tu as préféré faire comme eux. Nous étions unies et nous nous aimions ; il a fallu cette douce et voluptueuse nuit pour enfin te revoir anéantie par le temps et l’absence. Cette peau douce et délicate a souffert les assauts du temps et le chant qui parvint maintenant à mes oreilles n’est plus cette délicieuse mélodie de jeunesse mais un râle de souffrance imprégnée d’agonie.

Ce soir où l’âge n’est plus une frontière et où la mort même n’est plus un passage, tu as voulu me revêtir une dernière fois pour comprendre l’Amour qui nous unissait jadis.





Penchée contre ton cœur
Je sens le froid t’emporter à jamais.

Tu pleures
Et je maudis ceux qui t’ont prise.




La robe de mariée.